Obligations perpetuélles, hybrides, subordonnées
Terme en anglais : Perpetual bond
par : Robin des bonds
Les obligations perpétuelles font partie de la grande famille des titres dits « hybrides » (titres participatifs, titres subordonnés remboursables, …) et sont des obligations qui n’ont pas de date d’échéance.
A moins de revendre l’obligation perpétuelle sur le marché secondaire, l’argent prêté n’est donc, en théorie, jamais remboursé au prêteur. Sauf qu’en contrepartie, celui-ci touche des coupons en général beaucoup plus élevés que pour les obligations classiques et « à vie » !
En 1825, afin de dédommager les « émigrés » qui avaient fui lors de la révolution française et qui ont vu leurs biens vendus comme « bien national », l’Etat français émet une rente perpétuelle (nous dirions aujourd’hui une obligation perpétuelle) de 3%. Cela signifie que tous les ans, les détenteurs de ces obligations perpétuelles touchaient 3% du montant qui leur avait été alloué. Pour certains, cette obligation a bien été perpétuelle puisqu’elle est restée cotée en bourse jusqu’en 1987 ! Date à laquelle l’Etat a racheté définitivement toutes celles qui restaient en circulation.
Aujourd'hui, les entreprises, mais surtout les banques et les assureurs émettent des obligations perpétuelles que chacun peut acheter pour se créer une rente !
Les caractéristiques des obligations perpétuelles
Date de « Call »
Aujourd’hui, le caractère « perpétuel » est la plupart du temps théorique. Ces obligations sont en général pourvues d’une date à partir de laquelle l’émetteur peut les rembourser par anticipation. Parfois il peut le faire à chaque date anniversaire à partir de cette date dite de « call ». On dit alors que l’obligation est « callable ». Le prix de remboursement est fixé par avance et n’est pas nécessairement égal au « pair ». Il faut donc bien se référer aux documents de référence ou au prospectus avant d’acheter une obligation perpétuelle.
Les coupons
Les obligations perpétuelles versent des coupons qui peuvent être fixes ou variables, là aussi il faut se référer au prospectus. Aujourd’hui, les obligations perpétuelles versent souvent un coupon fixe jusqu’à la date de « Call » puis un coupon variable par la suite. Ce coupon variable est indexé sur un taux de référence, par exemple l’Euribor, ou le TEC10.
Les risques des obligations perpétuelles
Outre tous les risques inhérents aux obligations, deux risques spécifiques rendent ces titres beaucoup plus risqués que des obligations classiques : le fait que les coupons sont « conditionnels » et leur subordination.
Suspension des coupons
Quand elles sont émises par des sociétés, les obligations perpétuelles s’apparentent à des capitaux propres (puisqu’en théorie elles ne sont jamais remboursées). Mais, comme pour les dividendes des actions, le versement des coupons est conditionnel. En cas de difficultés financières de l’émetteur, une réduction du coupon distribué, sa suspension, voire son annulation peut-être décidée. Souvent, le paiement des coupons est conditionné au versement de dividendes aux actionnaires. Il faut là encore bien se référer au prospectus.
Une dette subordonnée
L’autre risque majeur lié aux obligations perpétuelles est leur subordination. Cela signifie qu’en cas de liquidation de la société émettrice, à qui l’on a prêté, on est remboursé qu’après l’ensemble des autres créanciers. En général, on récupère donc moins que les porteurs d’obligations classiques.
Les obligations perpétuelles offrent donc des rendements intéressants, mais elles sont plus risquées que les obligations classiques et en cela ressemblent presque aux actions. Il faut donc être bien informé avant d’en acheter.
Le cas particulier des obligations perpétuelles bancaires
Les banques sont des gros émetteurs d’obligations. Mais les obligations qu’elles émettent ne sont parfois spécifiques au secteur bancaire, car leurs besoins sont différents de ceux des entreprises industrielles ou commerciales (« corporate »).
Voici une petite initiation en plusieurs parties qui permet de mieux comprendre le fonctionnement des obligataions émises par les banques.
NB : Il ne s’agit que d’une initiation, le sujet est très complexe, il y a des livres entiers écrits sur le sujet !
Les banques peuvent prêter autant qu’elles veulent (sous conditions)
Les banques vivent des prêts d’argent qu’elles font aux ménages et aux entreprises. On imagine souvent que les banques prêtent l’argent des dépostants. C’est oublier que cet argent ne leur appartient pas ! Et en réalité, leur capacité de prêt n’est pas directement liée à la quantité de dépôts qu’elles ont en compte.
De façon simplifiée, une banque peut prêter autant d’argent qu’elle souhaite �à condition :
- de laisser des réseves obligatoires à la Banque Centrale
- de disposer de fonds propres dans une certaine proportion des prêts accordés. Chaque prêt accordé « mange » une certaine quantité de fonds propres de la banque. Ce n’est pas du 1 pour 1.
Pour une banque, tous les euros n’ont pas la même valeur
Le législateur a défini des règles de pondération :
- du passif : pour mesurer la « base de capital » de la banque à partir de laquelle elle va pouvoir prêter. Il y a des aspects qualitatifs : des capitaux qui sont susceptibles de sortir de la banque du jour au lendemain ont moins de valeur que ses capitaux propres.
- de l’actif : certains prêts et certaines activités ont plus de risques d’autres et nécessitent davantage de fonds propres.
Ces poids ont été décidés au niveau mondial par les gouverneurs des banques centrales dans le cadre de ce que l’on nomme les accords de « Bâle II ». Ces accords définissent les critères de solvabilité qui permettent aux banques de fonctionner.
On peut les trouver dans ce document de la BRI (Banque des Règlements Internationaux) : http://www.bis.org/publ/bcbs128.htm (lien à droite pour la version en français).
Maximiser ses fonds propres et maximiser son bénéfice
Avoir des fonds propres sert donc à prêter. Mais le législateur exige aussi un niveau de fonds propres pour l’activité courante de la banque. Les banques ont eu à passer des « stress tests » pour vérifier que leur niveau de fonds propres suffirait pour survivre à des crises économiques, avec des hypothèses de défaillances d’entreprises auxquelles elles auraient prêté, de baisse de l’immobilier…
Le but pour la banque est donc d’avoir le maximum de fonds propres. La solution la plus évidente est de réaliser des augmentations de capital (émissions d’actions nouvelles), mais les actionnaires existants n’aiment pas se faire diluer : c’est souvent la solution de dernier ressort car elle diminue fortement le bénéfice par action. L’autre extrême consiste à emprunter pour afficher des fonds propres suffisants, mais s’endetter n’a jamais augmenté ses fonds propres : le législateur considère à raison que ce n’est pas du capital propre, puisqu’il est dû à quelqu’un… Les titres hybrides
L’imagination des financiers étant sans limite, ils ont inventé des instruments hybrides qui ont les caractéristiques des fonds propres au regard des calculs de solvabilité mais qui ne diluent pas les actionnaires. Ce sont ces instruments au nom étrange (titres subordonnées, super subordonnées, perpétuels, titres participatifs etc.) que l’on peut acheter sur les marchés !
Les banques « jonglent » sans cesse entre les différentes les sources de financement, leur pondération dans les calculs de solvabilité, leur coût, afin de maximiser les « droits à prêter » à moindre coût.
Et viennent alors souvent nous proposer de souscrire à des titres subordonnées, perpétuels, ou hybrides.
Pourquoi c’est important pour nous, investisseurs obligataires ?
- pour savoir choisir, pour un même émetteur, les actions ou les obligations.
- pour comprendre quels risques expliquent les différences de rendement entre différentes obligations émises par une même banque.
- pour ne pas être surpris quand la Commission Européenne impose le non-paiement des coupons
- pour comprendre le mouvement de « reconstitution des fonds propres ».
On l'a vu, les banques doivent disposer d’un capital suffisant pour pouvoir prendre des risques. On a aussi vu que ce capital peut être formés de capitaux propres mais aussi d’argent emprunté, sous certaines conditions définies par le régulateur. Les banques se collent sur les caractéristiques dictées par le régulateur, et émettent des instruments destinés à rentrer dans les cases.
Les différentes catégories de Bâle II (la régulation bancaire actuelle) s’appellent Tier 1, Tier 2 (divisé en « Upper Tier 2 » et « Lower Tier 2 ») et Tier 3.
Le Tier 1
Le Tier 1, c’est le capital qui permet à la banque de prendre des risques. On y trouve ses fonds propres (capital social, actions, réserves), mais aussi les actions « de préférence » (sans droit de vote, comme celles auxquelles l’Etat Français a souscrit pour recapitaliser les banques) et les Titres Super Subordonnés à Durée Indéterminée (TSSDI).
C’est-à-dire des obligations :
- sans date de remboursement,
- qui passent après les autres dettes pour déterminer ses droits sur l’actif (ce qui s’appelle « dette subordonnée ») en cas de liquidation,
- dont les coupons sont facultatifs,
- et définitivement perdus s’ils ne sont pas payés (la banque n’aura pas � le payer « en retard »).
Si ces clauses vous semblent très risquées pour un investissement obligataire, vous êtes dans le vrai : le Tier 1 a un profil de risque similaire à celui des actions : élevé !
Pour attirer les investisseurs, il faut leur payer un coupon élevé : il n'est pas rare que les banques émettent du Tier 1 à des taux autour de 9-10%, autrement dit, avec un profil de rendement proche des actions.
En contrepartie, comme le législateur considère cela comme la meilleure source de capital, la banquea le droi de faire beaucoup de volume de prêts. Elle s’y retrouve sur le volume.
Le Tier 2 : Upper Tier 2
Dans le "Upper Tier 2", on trouve les titres sans date de maturité, dont les coupons ne sont plus facultatifs mais reportables : la banque peut zapper une échéance, mais devra la payer en retard si elle retrouve les moyens pour le faire (et c’est là la différence avec le Tier 1). C’est donc légèrement plus sécurisé pour le porteur de titres, plus contraignant pour la banque, cela lui donne moins de « droit à prêter ». Moins de risque, moins de rendement : le coupon est plus faible que sur le Tier 1.
Pour être dans le Upper Tier2, il ne faut pas que le titre menace la solvabilité de la banque. Les titres peuvent avoir une clause de remboursement anticipé à l’initiative de la banque, mais seulement au moins 5 ans après leur émission.
On trouve dans cette catégorie les TSDI (Titres Subordonnés à Durée Illimités) et les titres participatifs.
Le Tier 2 : Lower Tier 2
En Lower Tier 2, on trouve les dettes subordonnées qui ont une date d’échéance supérieure à 5 ans. C’est une dette : les coupons sont obligatoires. En revanche, contrairement à une dette « normale », si la banque ne peut pas payer les coupons, cela ne doit pas entraîner la mise en faillite, mais un report jusqu’à ce que la profitabilité de la banque le permette. Idem pour le remboursement du capital.
Comme cela engage un peu plus la banque, le législateur accorde un faible droit à prise de risque avec ce capital.
Le Tier 3 (qui est marginal)
Dans le Tier 3, on trouve les dettes subordonnées qui portent une date d’échéance entre 2 et 5 ans. En réalité, le Tier 3 est assez marginal, dans notre cas, on peut l’oublier.
Tableau de synthèse Tier1, Tier2 et Tier3
Type d'oblig | Date d’échéance | Coupons | Risque par rapport à une obligation standard | Exemple de taux |
---|---|---|---|---|
Tier 1 | Aucune | Facultatifs, perdus si non payés | Maximal | 10% |
Upper Tier 2 | Aucune | Facultatifs, décalés si non payés | Fort | 8% |
Lower Tier 2 | 5 ans | Coupons et remboursement du capital obligatoires mais reportés sans déclencher de défaut si impossible à payer | Légèrement plus fort | 5% |
Tier 3 | Entre 2 et 5 ans | Coupons et remboursement du capital obligatoires mais reportés sans déclencher de défaut si impossible à payer | Presque similaire | 3% |
Les exemples de taux sont totalement arbitraires, vu que ca change tout le temps icon smile Tier 1, Tier 2 et Tier 3 pour les nuls Mais c’est pour donner un ordre d’idée. Maintenant qu’on sait comment ca marche…
Solvatilité n'est pas liquidité !
Il ne faut pas confondre la solvabilité (qui a été l’objet de ces articles) avec la liquidité (ne pas avoir les liquidités nécessaires pour faire face aux engagements). Le non respect des ratios de solvabilité et des ratios réglementaires peut entraîner des fermetures de banques. Cela s’est vu aux US par exemple pendant la crise de 2008 avec des petites banques régionales.
On comprend mieux pourquoi les vieux titres participatifs peuvent gêner les banques. BNP Paribas échange du Tier 2 contre du Tier 1 à coupon facultatifs, avec un ratio défavorable (en théorie, le Tier 1 étant plus risqué, il en faut davantage pour compenser).
Une traduction des termes des prospectus
Voici les traduction en français des termes que l’on retrouve dans les prospectus. Je ne reprends que les termes habituels pour les subordonnées et les hybrides. Ce n’est pas un lexique financier généraliste.
- Call: possibilité de rachat par l’émetteur, en général au pair, et en général aux dates anniversaire. C’est comme un call warrant : l’émetteur a le droit d’acheter l’oblig à 100. Parfois, le call est soumis à approbation du régulateur bancaire local.
- NC 5: non callable pendant 5 ans. Equivalent à « Call possible au bout de la cinquième année ».
- Step-up: augmentation du taux après une certaine échéance. Pour l’investisseur, c’est la garantie d’avoir une compensation si la banque n’exerce pas son call. Le législateur autorise une telle incitation dans la limite de +100 bp de taux au bout de 10 ans. En général, les obligations perpétuelles débutent à taux fixe, puis passent en variable + marge au moment du step-up.
- Deferrable: l’émetteur peut choisir (ou être contraint par le régulateur) de ne pas payer les coupons.
- Cumulative / Non cumulative: qu’arrive-t-il aux coupons non payés ? Si c’est cumulatif, ils sont reportés jusqu’à la prochaine échéance (où ils pourront encore être reportés), si c’est non cumulatif, on les oublie définitivement. Combiné à un dividend stopper, cela peut devenir un vrai poison pour les actionnaires si le solde des intérêts non payés est important.
- Dividend pusher: si la société a payé un dividende au cours des 12 derniers mois, alors le coupon obligataire DOIT être payé (exemple : la perpétuelle Casino, aujourd’hui défunte).
- Dividend stopper: si la société choisit de ne pas payer de coupon sur l’oblig, alors elle n’a pas le droit de payer des dividendes aux actionnaires.
- Mandatory trigger: événement qui entraîne le paiement obligatoire des coupons. Le dividend pusher en est un exemple. Une offre de rachat sur des titres en est une autre (preuve que la société a de l’argent).
- Mandatory coupon deferral: événement qui empêche le paiement des coupons, par exemple un critère sur le flux de trésorerie ou le résultat net.
- Alternative coupon satisfaction mechanisms: un détail des compensations au cas où la banque ne peut pas payer de coupons. On peut se retrouver avec un paiement « en nature », avec des actions nouvelles, actions de préférence, bons de souscription, etc.
- Fixed to float: on commence à taux fixe, puis on passe à taux variable. Le passage est généralement au moment du call et du step-up (donc, si le call n’est pas exercé, on se retrouve avec un taux variable bonifié à perpétuité ou jusqu’à un call).
- EUSA10: Taux de swap en Euros à 10 ans. C’est un taux variable à 10 ans. Si vous ne savez pas où le trouver, allez chez Dexia ou si vous voulez un historique, prenez le taux des OAT (TEC10), il est proche du taux de swap à +/- 0,15%. Il y a un historique sur le site de l'Agence France Trésor. A noter que le taux de swap 10 ans correspond à peu près à la moyenne des Euribor sur les 10 ans à venir, tels qu’anticipés par le marché.
- Intentional replacement capital clause: pour faire plaisir aux agences de notation, ca signale que si l’émetteur fait une offre sur les titres, il en émettra d’autres pour compenser afin de conserver une structure de capital constante dans le temps.
- Extension risk: le risque de ne pas se faire « caller », et de se retrouver avec un risque perpétuel. Avant 2009, tout le monde pensait que toutes les banques exercaient leurs calls pour en pas payer le step up.
Tous les investisseurs faisaients des calculs de rentabilité en faisant l’hypothèse de remboursement du capital à la date de call (le scénario optimiste). Depuis la crise de 2008, les banques préfèrent souvent payer le-step up, moins cher que leur taux de refinancement. C’est Deutsche Bank qui a la première choisi de ne pas exercer son call, rappellant à tout le monde que les perpétuelles étaient risquées icon smile Tier 1, titres hybrides, TSDI, ratio de solvabilité : lexique et conclusion En décembre 2008, tout le monde voulait garder son cash, personne de censé ne décaisserait 1 milliard alors que c’est facultatif.