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Pourquoi les obligations varient à l'inverse des taux d'intérêt ?

par : Robin des bonds

"Pourquoi dit-on que les obligations varient à l'inverse des taux ? Que lorsque les taux baissent, les obligations montent ?"

La réponse en bref

  • L'évolution inverse des taux et des cours des obligations est liée à la concurrence entre placements dans un marché efficient.
  • Elle a à la fois des aspects économiques et mathématiques.
  • En réalité, c'est le cours des obligations qui détermine les taux longs.
  • Acheter avec décote augmente le rendement, acheter avec surcote réduit le rendement : aucune sorcellerie !

Lorsque les taux montent, les obligations baissent

Les journalistes adorent rappeler, au détour d’une virgule : « Les obligations, dont les cours évoluent à l’inverse des taux »...

À l'école, un professeur de finance peut énoncer ce principe comme une particularité curieuse des obligations en montrant un schéma de balançoire : lorsqu'un côté monte, l'autre descend.

Je vais vous expliquer pourquoi ce principe est finalement très intuitif, et comment l'utiliser dans les prises de décision.

Je n’aime pas cette phrase.

Elle donne l’impression que c’est compliqué et spécifique aux obligations… alors que c’est le cas de toutes les classes d’actifs, par exemple les actions ou l’immobilier.

Analogie avec l'immobilier

Rendement = loyer / prix

  • Lorsque le prix baisse, le rendement monte.
  • Lorsque le prix monte, le rendement baisse.

Bien sûr, cela suppose que le loyer est constant. Pour les obligations, ce principe vaut uniquement pour les obligations à taux fixe ou à taux zéro. Les obligations à taux variables sont justement immunisées aux mouvements de taux.

C’est valable pour les actions, l’immobilier, les obligations, les puits de pétrole, les concessions… Rien de spécifique au monde obligataire.

Certains aiment se créer des complexités mentales et des exceptions, alors que c’est tout naturel en réalité !

Acheter avec décote augmente le rendement ; acheter avec surcote réduit le rendement.

Explication économique

C’est intuitif lorsqu’on regarde l’immobilier :

  • Les taux bas favorisent l’emprunt et augmentent la capacité d’achat des ménages. Donc les taux bas font monter les prix.
  • Les taux bas abaissent le seuil de rentabilité jugé intéressant par les acheteurs : lorsque les taux sans risque (livrets, fonds en euros) sont à 5 %, personne n’achète de l’immobilier qui rapporte 5 % par an.
  • Lorsque les taux sont à 0 %, une rentabilité de 5 % paraît une bonne affaire, et les prix peuvent monter. Donc les taux bas font monter les prix.

Et le même raisonnement fonctionne à l'envers : les taux élevés font baisser les prix immobiliers.

Vous voyez : rien de spécifique aux obligations !

Explication financière

C’est une histoire de poule et d'oeuf.

Sur le marché obligataire, c’est comme pour les actions : les investisseurs échangent des titres contre des euros.

Lorsqu’un investisseur rechigne à acheter au prix de 99 mais propose 98, et que le vendeur accepte ce prix, le prix baisse. Le taux actuariel des obligations, calculé a posteriori sur la base du dernier cours coté, devient donc meilleur.

L’investisseur acheteur réalise un meilleur placement en achetant à 98 qu’à 99. Sinon il n’aurait pas négocié. Donc les taux montent : il a négocié pour avoir un meilleur rendement, de la même façon qu’un investisseur immo négocie le prix pour avoir un meilleur rendement.

Ainsi, spécifier que les obligations baissent quand les taux montent, c’est présenter les faits à l’envers. Les taux, constatés a posteriori puisque calculés sur la base des prix, sont devenus plus intéressants car le prix des obligations a baissé.

Alors évidemment, celui qui a des obligations qu’il estimait à 99 devra ajuster son prix s’il veut vendre tout de suite et que le prix est désormais 98. Mais s’il baisse son prix, c’est parce que les prix ont baissé. Expliquer cela en disant « Les taux ont monté donc les prix ont baissé », c’est se compliquer la vie pour rien.

En pratique, quand on détient des obligations, on regarde l'évolution de son portefeuille et on voit si les prix montent ou baissent.

C’est tout... Inutile de passer par l'étape "taux" pour comprendre les variations de son portefeuille.

Quatre exemples concrets

Voici quatre exemples qui présentent tous les scénarios possibles : - baisse des taux qui entraîne une hausse des cours obligataires - hausse des taux qui entraîne une baisse des cours obligataires - hausse des obligations qui entraîne une baisse des taux - baisse des obligations qui entraîne une hausse des taux

Baisse des taux qui entraîne une hausse des obligations

Vous détenez des obligations d'État qui rapportent un taux fixe de 5 %, sur laquelle il reste 10 ans à vivre. Subitement, l'État décide d'émettre une nouvelle souche obligataire de même maturité que les vôtres, en proposant un taux de 4 %. Les acheteurs institutionnels sont intéressés et souscrivent au pair à 100 % de leur valeur.

Si vous cherchiez à revendre votre obligation à 5 % aujourd'hui, elles seraient intéressantes pour les investisseurs qui seraient heureux de percevoir des coupons de 5 % au lieu des 4 % promis sur le marché. Ils seraient même prêts à payer un peu plus que les 100 % de leur valeur : en effet, même en les payant 105 % c'est une bonne affaire car elle offre au final 1 % de coupons en plus pendant 10 ans. Ils la payent plus cher, mais elle rapporte davantage.

Jusqu'à combien est-ce rentable pour eux ? Jusqu'à ce que le taux de rendement de leur placement en achetant vos obligations soit égal au taux de rendement de celles nouvellement émises, soit 4 %. Ce prix d'équilibre, que l'on peut calculer par un calcul actuariel, se situe autour de 108 %.

Ainsi, lorsque les taux ont baissé, le prix des obligations a monté !

Hausse des taux qui entraîne une baisse des cours obligataires

Scénario inverse, une entreprise a émis des obligations à 6 % par le passé. Vous avez souscrit quelques titres, estimant le rendement attractif compte tenu du risque.

Malheureusement, l'activité est en berne et l'entreprise rencontre des problèmes de liquidité. Elle tente de trouver des fonds auprès du marché obligataire en lançant une émission, boudée par les investisseurs. Elle est contrainte de proposer un taux de 10 % pour attirer le volume souhaité.

Qu'en est-il de vos obligations ? Le marché considère que ce risque "vaut" désormais 10 %. Pour acheter des obligations à 6 %, les intervenants demanderont une décote, de manière à compléter leur rendement pour obtenir les 4 % annuels manquants.

De façon approximative, ils demanderont donc 4 % de décote sur le capital par an : si votre obligation a une maturité de 4 ans, ils ne l'achèteront qu'à 84 % de sa valeur, de manière à obtenir des coupons de 6 % complétés par un gain en capital de 4 % par an.

C'est une mesure approximative mais facilement intuitive.

Hausse des obligations qui entraîne une baisse des taux

Dans ce scénario plus heureux, une entreprise précaire sort des difficultés. Son bilan s'est assaini et elle a fait surtout entrer à son capital un acteur industriel de premier plan. Sans offrir de garantie explicite, ce dernier s'est engagé dans le développement de sa nouvelle filiale. Le marché comprend que la dette est désormais beaucoup moins risquée qu'auparavant.

Les obligations décotaient fortement : les titres d'échéance 3 ans valaient 80% de leur pair ! Autrement dit, la prime de risque était telle que le prix d'équilibre entre acheteurs et vendeurs matérialisait une plus-value garantie de 25% (un placement qui va de 80 à 100 fait gagner 25%) en trois ans - si l'entreprise ne faisait pas défaut.

Aujourd'hui, ces obligations sont en forte hausse et elles cotent à nouveau le pair (100%). Leur décote se réduit.

La plus-value à réaliser en les détenant à terme est bien moindre. Le rendement actuariel que l'on réalise en les achetant et en les détenant à échéance chute.

Une hausse des obligations a donc entraîné la baisse des taux de cet émetteur, ici via la baisse du risque crédit.

Baisse des obligations qui entraîne une hausse des taux

Terminons les exemples avec un dernier cas : celui d'une entreprise en grande difficulté. Elle a émis une dette sur laquelle il ne reste qu'un an à courir. Elle sera remboursée 100% si tout va bien dans un an. Cependant, elle a annoncé un plan de cessions d'actifs non stratégiques majeur et évoqué la possibilité de faire défaut sur sa dette à court terme si le plan n'apporte pas assez de liquidités.

Les investisseurs les plus averses au risque se débarrassent de cette obligation, sentant la probabilité de défaut augmenter. Elle s'échangeait à 90% de sa valeur avant l'annonce du plan, ce qui fournissait un rendement annuel de près de 10% à ceux qui y croyaient, en l'absence de défaut.

Les nombreuses vendent et la pénurie d'acheteurs amènent son prix à 50%. Pour l'investisseur qui y croit, c'est une aubaine : la possibilité de réaliser un placement de 100% en un an ! Mais aussi le risque de perdre l'intégralité de son capital en cas de défaut.

Ici, le risque crédit a fait chuter les cours, et donc a augmenté le taux actuariel de l'obligation.

Pourquoi tant insister ?

Car c'est un concept fondamental qui est utile à tout moment de l'évaluation obligataire. Pour bien investir en obligations, vous ne devez pas intégrer ce concept comme une formule à apprendre par cœur. Vous devez y adhérer de façon totalement intuitive.

Absolument toutes les analyses que l'on peut faire sur les obligations partent de cette relation entre taux et prix.

En réalité, les taux sont dirigés par les obligations et pas l'inverse

Sur les marchés financiers, seuls les taux monétaires sont dirigés par les banques centrales.

Tous les autres taux sont calculés à partir des cours des obligations.

Cela signifie que l'expression ne devrait pas être :

  • lorsque les taux baissent, les obligations montent

Mais : - lorsque les cours des obligations montent, le rendement que l'on peut obtenir en achetant ces obligations baisse.

Ce n'est pas une relation de cause à effet, c'est l'expression de la même chose vue sous deux angles différents.

Et les taux des banques centrales ? Ils ne concernent que la partie très courte de la courbe des taux. Au-delà, ce sont les instruments de marché qui font les prix.

Ils influencent évidemment le prix des obligations de toutes maturités via le jeu des anticipations, mais sont incapables de décider que le taux à 10 ans de telle obligation s'élèvera désormais à 3% : c'est le marché qui décide.

Pour aller plus loin :