Ecarts de crédit, marges…
Pour comparer les obligations de deux sociétés, ont peut observer le taux de rendement à maturité de ces obligations. Par exemple supposons que l’on souhaite comparer des obligations Renault et Volkswagen de maturité différente. On a les données suivantes :
Obligation Taux de rendement
VOLKSWAGEN AG 07/2014 3.375% 2,27%
RENAULT SA 05/2013 4,375% 3,37%
On sait que l’obligation Renault a un taux de rendement annuel supérieur, mais est-ce le fait des conditions de marché des taux (par exemple courbe des taux très pentue) ou est-ce parce que le marché trouve plus risqué de prêter à Renault plutôt qu’à Volkswagen ? Pour répondre à cette question les opérateurs de marché divisent le rendement de l’obligation en deux partie de la manière suivante :
- Une première partie taux dite « sans risque », correspondant à la valeur des taux d’intérêt d’état. Il est normal que Volkswagen emprunte à un taux au moins égale à celui des taux allemands de même maturité, ou Renault à un taux supérieur à celui de l’OAT de l’échéance considérée.
- Une seconde partie correspondant au risque de crédit lié au nom de l’émetteur. C’est cette partie que l’on appelle le « spread » de crédit. Elle correspond au risque spécifique que l’on prend en prêtant à tel ou tel émetteur sans tenir compte du risque de taux. Ce « spread » est simplement la différence entre les taux de rendements de l’obligation Volkswagen et des taux allemands équivalents. Ou pour Renault entre le rendement de son obligation et des OAT.
Exemple : si l’on reprend les obligations ci-dessus on obtient donc des « spreads » différents pour chacune des sociétés.
Obligation | Taux de rendement | Taux de rendement Bund et OAT | Spread de crédit |
VOLKSWAGEN AG 07/2014 3.375% | 2,27% | 1,17% | 1,10% = 110bp |
RENAULT SA 05/2013 4,375% | 3,37% | 1,02% | 2,35% = 235bp |
En fait, le spread étant parfois faible, on le compte en « point de base » (noté « bp » pour « basis point » en anglais) c’est à dire qu’on multiplie les pourcentages par 100.
Donc pour l’obligation Volkswagen ci-dessus le spread est de 110bp et pour Renault de 235bp. Ceci correspond à une sorte de mesure du risque de crédit pur, c’est à dire sans tenir compte du risque de taux. On a alors une information importante : le spread de Renault étant à peu près deux fois supérieur, le marché pense que la probabilité que Renault fasse défaut dans l’année est deux fois plus importante.
Il faut en réalité affiner cette analyse car ici les obligations ne sont pas exactement de même maturité. Mais cela donne quand même une meilleure idée du risque de défaut que la seule étude des taux de rendements. Par ailleurs il faut avoir en tête que ces probabilités de défaut sont très faibles pour des obligations ayant ces caractéristiques (de l’ordre de 1% pour Volkswagen à 2% pour Renault dans notre exemple).
Plus généralement, on parlera de spread pour parler de l’écart de rendement entre des obligations d’émetteurs différents.
On essaie de toujours garder une référence commune suivant les devises. Pour la zone euro, la référence est l’Allemagne puisque c’est le pays considéré comme le plus solide financièrement et dont les taux sont les plus bas. Ensuite on compare tous les pays entre eux en fonction de leur « spread » par rapport à l’Allemagne.
« Junk Bonds », obligations pourries en français est le terme familier pour désigner les obligations au risque élevé. Rebaptisé plus joliment « High Yield Bonds », obligations à haut rendement, ce sont les obligations dont l’émetteur est classé en catégorie « spéculative » (ou encore « non investment grade ») par les agences de notation. C’est à dire que ce sont les émetteurs dont la note est inférieure à :
- BBB- pour Standard & Poor’s et Fitch Rating
- Baa3 pour Moody’s
Ces obligations offrent une rémunération beaucoup plus importante que celle des emprunts d’Etats dit « sans risque » en échange d’un risque important de défaut de l’emprunteur.
Toutefois le niveau de risque ne peut pas se résumer à la simple note des agences. En effet, toute les sociétés américaines dont le chiffre d’affaire est inférieur à 35M $ sont classées en catégorie spéculative. Donc toutes les obligations émises par ces sociétés sont considérées comme des Junk Bonds. Or d’une société à l’autre les risques sont évidement très différents.
HISTOIRE DES JUNK BONDS
La première émission d’un Junk Bond a eu lieu en 1977 et a été organisé par la banque Bear Stearn. Au début des années 1980, les Junk Bonds représentent 30% de l’ensemble des obligations émises par des sociétés privées américaines. C’est au cours de cette décennie que le financier Michael Milken, surnommé le « Junk Bond King », dirigeant le département High-Yield de la Banque d’investissement Drexel Burnham Lambert fait fortune.
En effet à cette époque le marché explose. Les entreprises souhaitant se refinancer sans augmentation de capital et sans passer par des prêts bancaires sont nombreuses… Mais les banques sont de moins en moins regardantes sur la solidité financière des émetteurs, et en 1989 à la suite de défauts de plus en plus nombreux de sociétés faisant faillite, le marché connait sa première crise importante. Le « spread » augmente de 500 points de base, soit pour un titre de maturité de 5 ans une baisse de 20% des prix… la banque Drexel Burnham Lambert doit racheté des titres à des investisseurs ce qui la conduira à sa propre faillite en 1990 !*
Au milieu des années 1990 le marché est relancé notamment en Europe, les sociétés privées se mettent elles aussi à emprunter directement sur les marchés. Les LBO par exemple sont souvent financé par ce biais. Et le marché des High-Yield connait à nouveau une crise de l’ampleur de celle de 1989 en 2001-2002 au moment de l’éclatement de la bulle internet et de la crise financière qui en a résulté.
Aujourd’hui ce marché est toujours actif. Il est devenu tristement connu du grand public en 2010 quand la Grèce a été placé dans cette catégorie par les agences de notation qui considèrent que les obligations de ce pays sont des Junk-Bonds !
*Il y a eu des répercussions jusqu’en Europe. Le Crédit Lyonnais par exemple a été impliqué dans cette crise puisqu’une de ses filiale a pris le contrôle d’Executive Life dans le but principal de reprendre le portefeuille de junk bonds de cet assureur californien tombé en faillite justement à cause des moins-values sur ce portefeuille.